Discours Anti-Peul de Sékou Touré - Première Partie - 12 Juillet 2018

Débat sur le discours anti-peul de Sékou Touré en Français - 15 Août 2018

Complot contre les peulhs ou affaire Telli Diallo et la situation particulière du Foutah

Nombre total de détenus officiels au camp Boiro : cent quatre (104)

Motif : Prétexte pour arrêter les personnes programmées, mais toujours en liberté. Au Comité Révolutionnaire du Camp Boiro, ce nouveau groupe était appelé « la queue de la cinquième colonne » pour bien marquer la continuité dans les opérations. D’autre part, il fallait faire disparaître un homme dont la renommée faisait ombrage à Sékou Touré.

Lieu de détention : Conakry, au camp Boiro.

Principaux accusés :

  • DIALLO Telli, ministre
  • Barry Alpha Oumar, ministre
  • DRAME Alioune, ministre
  • CAMARA Sékou, dit Philo, ambassadeur
  • Hadja Bobo DIALLO, jeune sœur de Saïfoulaye DIALLO, considéré comme le N° 2 du régime
  • KOUYATE Lamine, capitaine
  • DIALLO Alhassane, lieutenant
  • SY SAVANE Souleymane, magistrat.

Nombre total de détenus au camp Boiro : Cent quatre (104).

« SÉKOU TOURÉ Un totalitarisme africain »

De Maurice Jean Jean

Chapitre VII

Le complot permanent

(Page 170) Le 6ème complot dit « complot peuhl »

fL’année 1977 marque un tournant dans le régime de Sékou Touré avec la révolte des femmes qui l’avaient soutenu jusqu’à ce jour en dépit des mille difficultés qu’elles connaissaient dans leur vie quotidienne. Tout faisait défaut. Et le peu disponible en nourriture, habillement, était distribué par les comités du Parti. Les marchés étaient étroitement contrôlés par une police économique toute-puissante.
Avant d’en arriver au 6ème complot, soigneusement élaboré par Sékou Touré, qui éclata à la mi – 1976, il convient de retenir plusieurs complots qui ont tourné court. Il y eut d’abord le 20 janvier 1973 l’assassinat, devant sa maison à Conakry où il était réfugié, d’Amilcar Cabral, secrétaire général du PAIGC. La lumière n’a jamais été faite sur les circonstances de cet assassinat. Sékou Touré organisa à sa mémoire des funérailles grandioses et accusa les colonialistes portugais.
En mars 1973 il dénonce à la Radio « les fils et femmes des agents de la 5ème colonne arrêtés lors de l’agression du 22 novembre qui veulent venger leur père et mari et qui, bien que l’assemblée guinéenne ait voté une loi pour les décharger du fardeau de la honte, continuent de porter le nom de leur mari ou de leur père. Ils seront traités désormais comme des agents de la 5ème colonne ».
Sékou Touré applique à la lettre le but du système totalitaire qui est de « détruire les droits civils de la population toute entière, de telle sorte qu’elle finisse par être mise hors-la-loi dans son propre pays. »
Sékou Touré dénonce un complot dans lequel seraient impliqués le Portugal, la Belgique, la France, la Grande-Bretagne, l’Afrique du Sud et la Rhodésie, décidé lors d’une réunion de l’OTAN. L’entraînement des mercenaires chargés de l’opération se ferait en Angola, au Mozambique et en Afrique du Sud. En outre deux ministres en exercice sont soupçonnés de complicité. Cette affaire paraît d’autant plus extravagante et relevant de la pure imagination de Sékou Touré qu’aucune suite n’a été donnée et qu’aucun ministre n’a été inquiété.
Le 9 septembre 1973 Horoya publie les aveux d’Alain Kantara qui déclare avoir été chargé par une organisation d’opposants guinéens inconnue jusqu’alors dénommée CID (Criminal Investigation Department) d’assassiner le président Sékou Touré avec une camera Grundig ainsi décrite : « C’est un appareil photographique combiné intérieurement à un revolver silencieux portant sur une distance de 20 mètres et muni d’un appareil à jumelles». Il énumère ensuite tous les groupes d’opposants prêts à envahir la Guinée à partir du Sénégal, de la Côte d’Ivoire, de navires affrétés par les Portugais. Tout ceci semble relever plus du roman policier que du complot politique.
Horoya du 8 novembre 1973 rend compte d’une réunion tenu à Abidjan entre les membres du Front de Libération de Guinée et des officiels ivoiriens en vue d’élaborer une stratégie devant conduire à un changement de régime en Guinée. Sékou Touré hurle à la Radio ou dans les meetings : « Peuples ivoirien et sénégalais, écrasez les traîtres et les fantoches Houphouët et Senghor ». Et perdant tout contrôle il éructe le 11 février 1973 à la Radio : « Les contre – révolutionnaires ne seront pas seulement pendus, nous les égorgerons ». Sa furie est sans borne. Mais trop, c’est trop, et peu nombreux sont ceux qui en Guinée ou à l’extérieur attachent une crédibilité à ces informations.
Houphouët-Boigny, en vieux médecin, porte le diagnostic suivant sur Sékou Touré : « Folie de la persécution et mégalomanie galopante » qui correspond à l’avis d’une commission de psychiatres soviétiques exprimé dans un rapport confidentiel. Nous reviendrons plus loin, dans le chapitre consacré à la politique étrangère, sur les relations conflictuelles de Sékou Touré avec Senghor et Houphouët-Boigny .
Mais Sékou Touré s’attèle à une autre tâche. S’il a profité des complots précédents pour éliminer de nombreux peuhls, il n’en a pas terminé avec eux. Dans l’opposition à Sékou Touré la plupart des leaders étaient peuhls. En outre, Sékou Touré avait un concurrent qui échappait, pensait-il, à son contrôle, et qui présentait les caractéristiques qu’il avait toujours combattues. Il était peulh, avait fait de brillantes études, avait occupé avec succès des postes éminents, d’abord représentant de la Guinée à l’ONU ou ambassadeur à Washington de 1958 à 1964 puis secrétaire général de l’OUA de 1964 à 1972. Bref Diallo Telli représentait tout ce que Sékou Touré détestait. Il usa de tous les moyens, intervention de la famille, pression des amis, maraboutage visant à annihiler la volonté, afin de le faire revenir en Guinée. Eliminé de la course à un 3ème mandat à l’OUA, Diallo Telli se trouvait dans une situation inconfortable. S’il rejoignait la cohorte des 2 millions de Guinéens de l’extérieur, il ne pouvait que devenir le leader des opposants à Sékou Touré, compte tenu de son charisme, alors que pendant 14 ans, de 1958 à 1972, il avait été l’exécuteur fidèle de sa politique. Son honnêteté lui interdisait ce choix. Contraint et forcé il décida de rentrer en Guinée en dépit des mises en garde de nombreux chefs d’état africains et de hauts fonctionnaires de l’ONU qui étaient ses amis.
Il rentre en Guinée en août 1972, et à l’occasion d’un des nombreux remaniements ministériels est nommé le 21 août ministre de la Justice, le 16ème depuis l’indépendance. C’est dire le peu d’importance accordée par l’Etat guinéen à ce poste quand on sait par ailleurs que le pouvoir et donc la Justice sont sous le contrôle du Parti.
A ce poste, du 21 août 1972 au 18 juillet 1976, Diallo Telli exécutera fidèlement les directives du Parti. Il sera le maître d’œuvre de la loin de juin 1973 qui enlève toute indépendance aux tribunaux en créant des juridictions populaires au niveau des villages et des quartiers, des arrondissements et des régions. Diallo Telli avait pourtant connaissance des exactions commises par le PDG lors des complots « Keïta Fodéba / Kaman Diaby » de 1969 au cours duquel il avait été mis en cause, et de celui de la 5ème colonne de 1970 – 1971. Faut-il penser, comme son conseiller technique Henri faÿs, que Diallo Telli « était naïf, très nerveux, souvent super – excité, très imprudent dans ses propos, ses faits et ses gestes, plein de candeur et désordonné dans son travail ». Ceux qui l’ont approché durant cette période considèrent qu’il n’était plus le même que celui qu’ils avaient connu dans le passé. Il restait à Sékou Touré à trouver un prétexte pour déclencher une nouvelle vague d’arrestations.
Le prétexte fut des plus ténus. Un jeune peuhl de 12 à 14 ans, Mamadou Lamarana Diallo, tomba d’un manguier au moment du passage du cortège du Président qui allait visiter l’Institut Polytechnique de Conakry. On trouva sur lui, par la plus grande chance une « arme automatique ». Il est accusé de tentative d’assassinat sur la personne du président. Il s’ensuivit une série d’arrestations parmi les gardes du corps et les miliciens, tous se trouvant être d’origine peuhle. Le conseil National de la Révolution s’appuyant sur les dépositions des « conjurés du 13 mai » constitue le 16 juillet une commission d’enquête qui décide de faire procéder, dans la nuit du 18 au 19 juillet, aux arrestations de ministres et cadres à majorité peuhle : Alioune Dramé, ministre du Plan, le Docteur Alpha Oumar Barry, ministre des échanges, le lieutenant Alassane Diallo, Camara Sékou dit Philo, ancien ambassadeur, Souleymane Sy Savané, inspecteur d’Etat à la Présidence et enfin Hadja Bobo Diallo, jeune sœur de Saïfoulaye Diallo, un fidèle parmi les fidèles. D’une manière courante, Sékou Touré recourait à l’arrestation d’un proche parent de ses fidèles, leur montrant ainsi que nul n’était à l’abri. Il ne reculait devant aucune bassesse. Il dîne le soir du 18 juillet au Palais présidentiel avec Diallo Telli et tient avec lui le dialogue suivant/

  • Mon cher Telli, j’ai au moins une qualité qu’il faut bien me reconnaître, c’est de ne jamais me laisser surprendre…
  • Mais qui veut te surprendre, président ?
  • Au revoir Telli

Trois heures plus tard, Diallo Telli, Diallo Telli était incarcéré au Camp Boiro, accusé d’être l’instigateur du complot peuhl .
Diallo Telli est soumis au régime maintenant très au point du Camp Boiro : diète pendant 3 à 8 jours pour obtenir des aveux préétablis ; en cas de résistance, passage à la cabine de torture jusqu’à ce que le prisonnier cède. Diallo Telli finit par accepter le 31 juillet de rédiger, puis d’enregistrer ses « aveux ». Ils sont diffusés le 9 août au Palais du Peuple devant les militants du PDG. Comme le dit Cheikh Chérif : « C’est quelque chose qui n’est pas clair. On devrait au moins voir les détenus parler». Diallo Telli est contraint de signer des « aveux » très détaillés afin de donner corps à sa trahison. En dépit de l’expérience des scribes du comité révolutionnaire qui rédigent ces aveux, le texte est plein d’incohérences. Il convient de se reporter au livre « la mort de Diallo Telli » d’Amadou Diallo qui fut son compagnon de prison contraint sous la torture d’avouer sa participation au complot dont Diallo Telli était le chef. Il donne de la vie carcérale une image dantesque. Sékou Touré, qui ne se trouve pas satisfait des aveux de Diallo Telli, tente de le faire plier en lui adressant deux lettres respectivement le 23 décembre 1976 et le 12 janvier 1977 lui demandant de « coopérer étroitement avec la Révolution ». A cette fin Sékou Touré use de mensonges, de promesses hypocrites, de menaces voilées, allant jusqu’à écrire : « Nous ne comprenons pas que tu sois résigné à cette mort que tu es en train de préparer toi-même ».
Diallo Telli répond le 24 décembre 1976 et le 13 janvier 1977 à ces deux missives, faisant preuve d’une hauteur de vues, d’une lucidité et d’une dignité rares, reconnaissant qu’il « avait trahi la Guinée et l’Afrique au service du PDG. »
Un mois après cette dernière lettre, Sékou Touré franchit un pas décisif en condamnant Diallo Telli et ses 4 compagnons à la plus terrible des morts par la « diète noire », c'est-à-dire une privation de nourriture et de liquide jusqu’à ce que mort s’ensuive. La description de la fin de ces condamnés qu’en donne Amadou Diallo est hallucinante.
Sékou Touré se déchaîne contre les Peuhls, leur déniant leur origine en les traitant de Diallonké qui furent les premiers habitants du Fouta-Djalon asservis par les Peuhls en provenance du Macina. Sékou Touré fait appel à ces peuhls dominés qui ont adopté le patronyme de leurs maîtres, pour qu’ils renient leurs origines. Certains de ces Peuhls reprirent leur ancien patronyme. De nombreux autres reprirent à leur compte les accusations de Sékou Touré à l’encontre de l’ethnie peuhle, dénonçant le caractère barbare et exploiteur de la chefferie traditionnelle, les compromissions avec les autorités coloniales, la démission des intellectuels dont beaucoup choisirent l’exil.
En 1976 Sékou Touré déclare : « Nous les anéantirons (Les peuhls) immédiatement, non par la guerre raciale, mais par une guerre révolutionnaire radicale ». Entre juin et août 1976, 500 peuhls sont arrêtés. Convoqué en tribunal révolutionnaire, le conseil national de la Révolution décide à l’avance que tous les prisonniers convaincus de participation dans « la conspiration peuhle » seraient condamnés à mort. Quand on connaît la légèreté ou même l’inexistence de preuves de ce complot peuhl, c’est par avance condamner tous les prisonniers à la mort.
Tout en dénonçant les oppositions ethniques et tout en proclamant l’unité de la nation guinéenne, Sékou Touré a privilégié son ethnie malinké. Des recherches portant sur l’appartenance ethnique de 6 000 cadres qui ont exercé une activité sur la période 1958 – 1984 montre une très nette prédominance des Malinkés, une bonne représentation des Soussous, et une sous-représentation des Forestiers mais surtout des Peuhls, alors que la répartition des ethnies en 1995 montrait une quasi-égalité entre Malinkés et Peuhls.
En réalité, en 1976, le pouvoir est concentré entre les mains d’une poignée de fidèles dont la plupart appartiennent à la famille du président.


Camp Boiro – Parler ou périr – R.A. Gomez 2007 – Ed. L’Harmattan – p. 201.