COMPLOT DE MARS 1969 – contre Kaman-Fodéba

Nombre total de détenus officiels au camp Camayenne (futur camp Boiro): quatre-vingt-sept (87)

COMPLOT DE MARS 1969 – contre Kaman-Fodéba1Nombre total de détenus officiels au camp Camayenne (futur camp Boiro): quatre-vingt-sept (87)MOTIF : Après les putschs militaires du Ghana et du Mali qui ont entraîné la chute des Présidents Kwame Nkrumah et Modibo Keita, Sékou Touré avait dit publiquement qu’une telle éventualité était exclue pendant son régime. Joignant l’acte à la parole, il avait donc pris des dispositions préventives en éliminant les meilleurs cadres de l’armée nationale. Des revendications survenues au camp des parachutistes de Labé ont servi de prétexte, avec la complicité d’Emile Cissé à l’époque directeur d’école à Kalédou (Labé).

Lieu de détention : Conakry.

Principaux accusés

  1. KEITA Fodéba, Ministre
  2. BARRY Diawadou, Ministre
  3. FOFANA Karim, Ministre
  4. DIABY Kaman Colonel, Ministre
  5. CAMARA Balla, Ministre
  6. DEEN Jean, Ambassadeur
  7. ACHKAR Marof, Ambassadeur
  8. BARRY Amadou, jeune frère de Barry Diawadou (87)
  9. DIOP Tidiane, Administrateur à la Direction de la Société FRIA
  10. MAREGA Bocar, médecin
  11. GUEYE Baïdy, industriel
  12. BAH Thierno Sabitou, docteur vétérinaire

Nombre total de détenus au camp Camayenne : quatre-vingt-sept (87)

LISTE DES ARRETES/EXECUTES DU 29 mai 1969(Mont Kakoulima)

  1. BAH Amadou, lieutenant
  2. BAH Mamadou, militaire
  3. BARRY Diawadou, ministre, sorti de cellule sur une civière
  4. CAMARA Boubacar, dit M’Bengue, militaire, sorti de cellule sur une civière
  5. COUMBASSA Ali, lieutenant
  6. DIABY Kaman, colonel
  7. DIALLO Thierno Ibrahima, capitaine
  8. DIARRA M’Bemba, commissaire de police
  9. FOFANA Karim, ministre
  10. KEITA Check Mohamed, commandant
  11. KEITA Fodéba, ministre
  12. KOUYATE Sangban, capitaine

Par contumace :

  1. BAH Mamadou, fonctionnaire international
  2. YOULA Naby, diplomate

Exécutés à KINDIA (Mt Gangan) le 3/01/1971 mais arrêtés en 1969

  1. BAH Thierno Sabitou, docteur-vétérinaire
  2. BAH Telly Oury, caporal parachutiste
  3. BALDE Abdoulaye, capitaine
  4. BALDE Abdoulaye, sous-officier
  5. BANGOURA Bachir, sergent
  6. BARRY Abdoulaye, capitaine
  7. BARRY Aguibou, ingénieur architecte

« SÉKOU TOURÉ Un totalitarisme africain »

De Maurice Jean Jean

Chapitre VII

Le complot permanent

« (Page 137) Nous arrivons à un complot majeur, le 4ème complot dit « des officiers félons et des politiciens véreux ».

Pour l’éclairer il faut revenir sur des évènements capitaux survenus dans deux Etats voisins, idéologiquement proches de la Guinée. En février 1966 Kwame Nkrumah est renversé par les « militaires ». Sékou Touré l’accueille en Guinée et le nomme coprésident de la République de Guinée, ce qui restera purement formel. Le 19 novembre 1968 c’est au tour de Modibo Keïta, président du Mali, d’être démis par les militaires. Sékou Touré en conçoit une méfiance extrême vis-à-vis de son armée qu’il met sous la surveillance du Parti en créant des comités du PDG dans les casernes le 19 novembre 1968. S’adressant aux militants de Conakry II il annonce : « même dans l’Armée, dans un avenir non lointain, les fonctions de direction seront acquises par vote de confiance émis par les militaires ». Il s’ensuit une certaine agitation dans l’armée guinéenne. A plusieurs reprises, à la radio la Voix de la Révolution, Sékou Touré fustige l’armée malienne et sa propre armée. Il va prendre les devants et dénoncer en mars 1969 une tentative de coup d’état bénéficiant de la complicité de la France et de pays voisins de la Guinée
Le prétexte va être trouvé dans les évènements d’une grande banalité qui se déroulent à Labé en février 1969. Au cours d’une réunion amicale entre militaires et membres du PDG un officier parachutiste dit à Emile Cissé : « cher ami, si tu ne fais pas attention, en dépit de la confiance dont tu jouis auprès de Sékou Touré, il va te cravater ». C’était plus qu’il n’en fallait à Emile Cissé, l’âme damnée de Sékou Touré, pour informer Conakry qu’un complot était en préparation. Sékou Touré mandata Magassouba Moriba, ministre délégué à Labé, pour apporter la lumière sur ce complot. Il conclut à l’absence de preuves Sékou Touré envoya alors à Labé le général Lansana Diane, ministre de la Défense Nationale, accompagné du commissaire Mamadou Boiro. Le général innocenta les présumés coupables mais décida de disperser les officiers parachutistes dans différentes garnisons. Trois d’entre eux, accompagnés par le commissaire Boiro, prirent l’avion à destination de Conakry avec une escale à Kankan au cours de laquelle les trois militaires crurent comprendre qu’on allait les traduire devant le Comité révolutionnaire. Au cours du trajet, les trois militaires enjoignirent au pilote de mettre le cap sur Bamako après avoir jeté par-dessus bord le commissaire Boiro. L’avion, à court d’essence, dut se poser près de Siguiri dans le nord de la Guinée. Les militaires furent maîtrisés par les militants et transférés par la Sécurité à Conakry où ils furent mis à la disposition du Comité révolutionnaire. Cet organisme, qui venait d’être crée pour la circonstance, était composé des fidèles de Sékou Touré et notamment de son demi-frère Ismaël Touré, d ses cousins Diané Lansana et Touré Siaka.
Après avoir été soumis à la torture au Camp Boiro, les trois officiers parachutistes dénoncèrent les coupables qu’on leur avait désignés. Il s’agissait du colonel Kaman Diaby et du groupe d’anciens militaires de l’armée française qui s’étaient mis comme lui à la disposition de la Guinée indépendante. Et puis furent mis en cause Fodéba Keïta, le « cerveau du complot », Ba Mamadou « l’éminence grise », Karim Fofana « l’idéologue », Baïdi Gueye « le financier » et Barry Diawadou « le complice ».
Ce 4ème complot marque un tournant et va servir de modèle à ceux qui vont suivre. En effet la répression des trois premiers complots relevait de l’improvisation. Le camp des gardes républicains à Camayenne ne fut opérationnel qu’en 1962. En outre la machine à torturer, à fabriquer des aveux, à dénoncer, n’avait pas atteint sa pleine efficacité. C’est ainsi que Petit Touré et ses comparses ont été tués quelques jours seulement après leur arrestation sans avoir fait d’aveux publics. Le 4ème complot fut l’occasion de mettre en place la procédure d’avilissement physique et moral, de dénonciation réciproque, d’aveux extorqués, qui serviront par la suite à éliminer les couches sociales qui portaient ombrages à Sékou Touré. Ce mécanisme est très semblable à celui utilisé par Staline lors des fameux procès de Moscou. Le rapport sur le complot militaire de février 1969 publié sous ce titre dans Horoya-Hebdo des 17-23 mai 1969 illustre parfaitement cette méthode. Ce rapport tisse à partir de faits et d’évènements ordinaires tout un réseau de présomptions et d’accusations dont la logique implacable conduit à l’organisation d’un complot visant à l’élimination du Chef de l’Etat. Mais à trop vouloir prouver on finit par se contredire et par laisser percer la légèreté des accusations.
Prenons le cas du principal accusé Kaman Diaby. Il était, en dehors des membres de la famille, l’un des hommes les plus proches de Sékou Touré. Ils étaient tous deux originaires de Faranah. Au cours d’une réunion dans cette ville, le père de Kaman Diaby avait mis la main de son fils dans celle de Sékou Touré, lui disant :
« Voilà ton jeune frère, je te le confie ». Il y a eu, à la mode mandingue, un échange de noix de kola. Il A été le premier officier aide de camp de Sékou Touré et le restera plusieurs années. Il avait été récemment nommé secrétaire d’Etat à la milice. Mais il fallait à Sékou Touré un exemple éclatant pour faire tomber quelques uns de ces ministres qui lui portaient ombrage. Kaman Diaby fut désigné. Il appartenait aussi à ce groupe d’amis qui avait créé la ferme coopérative du KM 66 à Maneyah. On y retrouvait la famille Ba de Dinguiraye, Ba Mamadou, Ba Thierno et le Docteur Maréga, mari d’une de leur sœur, des amis comme Karim Fofana. Leur tort était de former un groupe d’amis solidaires alors que Sékou Touré bannissait l’amitié dans ses relations, qu’il voyait, hors le cercle de sa famille, comme des rapports de force. Son extrême méfiance ne pouvait tolérer un groupe qui échappe à son contrôle. En outre, cette ferme agropastorale était gérée efficacement et donnait toutes sortes de produits alors que l’économie guinéenne et notamment son agriculture partaient à la dérive.

On avance à l’encontre de Kaman Diaby des preuves dérisoires: un modèle de costume militaire envoyé de France en vue d’achats éventuels, un stylo avec l’effigie du Général de Gaulle, une lettre du 31 octobre 1958 d’un officier français approuvant qu’il ait accepté de servir en Guinée et lui demandant de faire le maximum pour que la Guinée reste dans la communauté. Or c’est au même moment que Sékou Touré adressait au Général de Gaulle des missives pressantes demandant que la Guinée puisse adhérer à la nouvelle Communauté. Parmi les bizarreries avancées comme preuves on parle d’une lettre adressée de Dakar à « Nabi Youla à Paris » par une personnalité jamais nommée, lettre dont on ignore la teneur qui aurait été interceptée et renvoyée en Guinée. Pour faire plus vrai, ce même rapport laisse entendre qu’il y aurait eu des désaccords entre militaires comploteurs et Kaman Diaby qui voulait, après le coup d’Etat, renvoyer les militaires dans les casernes. On pouvait en déduire que les vrais responsables du complot étaient des hommes politiques, ce qui mettait en cause Keïta Fodéba, Barry Diawadou et Karim Fofana. A chacun on attribue un rôle et un poste dans le futur gouvernement.
Voir qualifier Karim Fofana – qui fut mon condisciple au Lycée de Montpellier – d’idéologue prête à sourire, tant ce brillant ingénieur, ce bon vivant, vivait dans et pour le concret des choses. Mais son principal « crime » est d’avoir suscité la jalousie d’Ismaël Touré, le demi-frère qu’il traitait de petit ingénieur sortant d’une vague école de météorologie, alors que lui-même avait fait l’Ecole des Mines de Nancy. Il avait eu aussi le tort de faire de brillantes démonstrations techniques et économiques devant des invités de marque, comme en 1964 à l’occasion d’une réunion de l’OERS en présence du président Senghor et de Che Guévara. Sékou Touré n’acceptait pas qu’on lui vole la vedette.
Fodéba Keïta, le cerveau, détenait à son domicile un récepteur de haute précision. Comment le reprocher à un ministre qui fut celui de la Défense et de la Sécurité ? Quant à Barry Diawadou, on retourne contre lui sa foi islamique qu’il aurait mis au service de sa propagande personnelle. O, lui reproche la détention d’un numéro de Fraternité Matin, journal ivoirien comportant un discours d’Houphouët-Boigny. Pour comprendre son arrestation, il faut se reporter aux années d’avant l’indépendance où il était à la tête du BAG, parti en concurrence avec le PDG de Sékou Touré. Opposés pour un siège au parlement français à l’occasion d’élection partielle en juin 1954, Barry Diawadou fut élu. Sékou Touré dénonça un trucage des élections. Il faut se souvenir que Sékou Touré a la rancune tenace. Mais comme il l’a dit, le complot est permanent. C’est Tounkara Jean Faragué, arrêté lors du 3ème complot, qui dénonce Fodéba Keïta. Il aura finalement la vie sauve. On va voir, lors des complots d’après 1970, qu’ils s’emboîtent les uns aux autres, s’appuyant sur les dénonciations des participants des précédents complots qui ont eu la vie sauve contre leurs aveux.
Dans le processus de mise à jour des complots minutieusement élaboré, il y’a les grandes cérémonies publiques orchestrées par les discours de Sékou Touré. Il prononce devant les militants de Conakry II un discours où il prend violemment à partie le Général de Gaulle. Puis vient, le 21 mars, la marche « spontanée » des militants de Conakry I et II qui les conduit au Palais du Peuple où le « timonier bien-aimé », après avoir fait l’éloge du martyr de la Révolution Mamadou Boiro, présenté comme un « symbole de dévouement exemplaire à la Patrie », dévoile e dénonce en termes violents les vrais auteurs du complot. Dès lors c’est le Comité Révolutionnaire qui est en charge de l’arrestation et du jugement des coupables. Pour appuyer la véracité de ces dires, on répartit les comploteurs en cinq catégories :
Les principaux acteurs , qui seront condamnés à mort, au nombre de 13 dont 2 pr contumace.
Les complices actifs, ondamnés aux travaux forcés à perpétuité.
Les complices plus ou moins actifs,, qui sont en majorité des caporaux condamnés à 20 ans de travaux forcés. On peut s’interroger à ce stade sur les liens de confiance et de secret qui pouvaient être tissés entre ces caporaux et le chef d’état-major et les ministres pour préparer un complot. En outre ces complices plus ou moins actifs sont condamnés à la même peine, montrant le peu de considération que l’on accorde à la personne.
Les complices civils condamnés soit aux travaux forcés à perpetuité, soit à des peines de 10 à 20 ans de prison. Parmi eux on trouve le Docteur Bokar Maréga, fils du maître d’école de Sékou Touré, Fodé Bokar Maréga qu’il avait rendu responsable d’avoir été refusé à l’entrée à l’Ecole Supérieur de Conakry. Sékou Touré n’oublie jamais les torts réels ou supposés qu’on a pu lui causer.Tous les membres de ces quatre catégories sont en outre condamnés à la confiscation des biens.
Les éléments douteux. Je cite : « Cette catégorie groupe d’une part le militaires contre lesquels l’enquête n’a pas relevé de preuves suffisantes de participation effective mais dont les fréquentations et le passé retiennent l’attention, d’une part des civils repérés par la contre-révolution en raison de leur disponibilité à servir la cause de celle-ci. Une vigilance permanente et appropriée s’impose à leur niveau ». Comme l’écrit Hannah Arendt : « Les gens entièrement innocents que le régime bolchévique liquida par millions, les « ennemis objectifs», savaient qu’ils étaient des « criminels sans crime ». Voilà une catégorie qui se trouve dans l’antichambre d’un prochain complot : ceux qui sont ainsi visés vont vivre dorénavant dans la peur. Nous sommes là au cœur « du concept d’opposant objectif » défini par Hannah Arendt dont l’identité varie au gré des circonstances- si bien que, sitôt une catégorie liquidée, la guerre peut être déclarée à une autre – qui correspond exactement à la situation de fait, répétée tant et tant de fois par les dirigeants totalitaires : leur régime n’est, en aucun sens traditionnel un gouvernement, mais un mouvement qui, dans sa progression, ne cesse de buter sur de nouveaux obstacles à éliminer. Dans la mesure où l’on peut vraiment parler d’une pensée légale à l’intérieur du système totalitaire « l’opposant objectif en constitue l’idée centrale ».
Ces éléments douteux acquittés au bénéfice du doute sont no seulement placés sous haute surveillance, mais encore dégagés des cadres de l’armée pour les militaires, et écartés de tout poste de responsabilité politique et administrative pour les civils relaxés. Or dans un tel régime toute activité dépend de l’Etat. Les personnes libérées et les condamnés à la confiscation de tous leurs biens qui arrivent à sortir vivants des geôles doivent pour se réinsérer suivre un parcours difficile et humiliant. Kindo Touré en décrit toutes les étapes dans un chapitre qu’il intitule « La réinsertion sociale ».
Pour clore cette série, un attentat contre la personne de Sékou Touré a lieu le 24 juin 1969 alors qu’il parcourt dans sa voiture décapotable, avec le président de Zambie Kenneth Kaunda en visite officielle, la route entre l’Aéroport et le palais du Peuple. Un jeune guinéen, Tidiane Keïta se précipite sur Sékou Touré et l’entraîne hors de sa voiture. Il semble qu’il s’agisse du geste individuel d’un déséquilibré. En effet, il ne possédait aucune arme et il fut tué sur-le-champ par les gardes du corps mettant un terme à l’élucidation de cette action. Ayant séjourné en Côte d’Ivoire, il fut assimilé au « complot Kaman Diaby »
A l’issue de cette décennie sanglante, on peut faire un bilan provisoire de l’action de Sékou Touré à l’encontre des élites de Guinée et plus généralement de tout son peuple. Si le premier complot fut un coup de semonce permettant d’éliminer des ennemis personnels de Sékou Touré ou des personnalités religieuses, le deuxième fut l’occasion d’abattre des syndicalistes indépendants et des intellectuels marxisants, laissant le champ libre au Parti unique, le PDG et à toutes ses antennes CNTG , JRDA, URFG.
Le troisième complot permit l’élimination ou la mise au pas des commerçants déclarés responsables de la faillite économique du régime, étant « en puissance des ennemis du régime ». Il a permis ainsi à Sékou Touré de faire taire les opposants à l’intérieur de son parti.
Le quatrième complot élargit encore le champ des personnes éliminées. Tout d’abord, l’armée fut décimée au niveau le plus élevé, mais aussi à tous les échelons, rendue ainsi totalement inefficace. Sékou Touré élimina âme damnée Fodéba Keïta qui avait perpétré sans état d’âme tous les crimes qu’il lui avait commandés, se montrant capable de toutes les trahisons. Ce complot fut un galop d’essai pour éliminer les élites peuhls, en commençant par Barry Diawadou, pour décimer la famille Ba de Dinguiraye, et se débarrasser de cadres compétents comme Karim Fofana qui ne pouvait que porter un jugement critique sur le fonctionnement du régime de Sékou Touré.


Camp Boiro – Parler ou Périr – Alsény René Gomez, 2007 – L’Harmattan – pp. 198-199