Complot contre les enseignants, novembre-décembre 1961

Nombre total de détenus officiels au camp Camayenne (futur camp Boiro): cinquante-quatre (54)
Motif : Rédaction d'un mémoire par le syndicat des enseignants concernant une revalorisation substantielle des salaires des enseignants.
Lieux de détention : Camp Camayenne, Conakry.
Principaux accusés : Les 12 membres du Bureau du Syndicat des enseignants qui furent traduits devant la Haute Cour de Justice.

Il y eut 5 condamnations :

  1. Keita Koumandian (10 ans)
  2. Ray Autra (10 ans)
  3. Bah Ibrahima Kaba (5 ans)
  4. Niane Tamsir (5 ans)
  5. Seck Bahi (5 ans)

Ces arrestations ont été suivies par un mouvement de protestation des enseignants à travers tout le pays sous forme de grève, déclarations publiques, etc. Ce qui entraîna l'arrestation de ceux qui étaient considérés comme les plus irréductibles :

  1. Diallo Kolon, à Labé
  2. Sidi Diarra, à Kankan
  3. Baldé Mountaga
  4. Baldé Hassimiou
  5. Fofana Ibrahima

Il y eut également des arrestations d'étudiants pour soutien au corps enseignant dont :

  1. Lamine Camara, président des élèves de l'école normale, qui sera arrêté de nouveau en 1971, dans le cadre de la cinquième colonne.
  2. Cellou Diallo dit Noble, responsable au niveau du comité des élèves
  3. Djiba Camara, Surveillant général
  4. Goureissi Thiam, maître d'internat

Des arrestations furent opérées également dans les lycées, parmi lesquelles :

  1. Diané Fanta Oumar
  2. Diallo Thierno Nabika
  3. Yansané Kerfalla
  4. Béavogui Famoi, élève décédé au Camp Camayenne le 16 novembre 1962

Nombre total de détenus au Camp Camayenne : cinquante-quatre (54)

« SÉKOU TOURÉ Un totalitarisme africain »

De Maurice Jean Jean

Chapitre VII

Le complot permanent

(Page 131) Parmi les complots marquants, il faut signaler le deuxième complot dit « des enseignants et des intellectuels marxistes tarés »

, de novembre 1961. Il importait en effet, pour asseoir la réalité de ces complots, d’en cibler les catégories responsables, montrant qu’au-delà des personnes visées il y avait une nébuleuse de citoyens anti – Sékou Touré qu’il convenait d’éliminer. Dans cette affaire Sékou Touré fait d’une pierre deux coups. D’une part il fait arrêter les responsables du Syndicat des enseignants : Keïta Koumandian, grande figure du syndicalisme d’Afrique noire, Ray Autra, fidèle militant du PDG ET Djibril Tamsir Niane, brillant historien. Leur crime : demander au gouvernement une revalorisation promise du statut et du salaire des enseignants, ainsi que le maintien pendant quelques années des professeurs français. Leur principal tort fut de refuser de fondre leur syndicat dans l’officielle Confédération Nationale des Travailleurs de Guinée (CNTG). Lors d’une conférence de la CNTG le 16 novembre 1961, chargé de débattre de cette revendication, le secrétaire général du Syndicat des enseignants Keïta Koumandian reçut un accueil triomphal alors que l’intervention de Sékou Touré était tombée à plat. C’était plus qu’il ne pouvait supporter. Dès le 18 novembre le Bureau directeur du syndicat a été déchu et ses membres arrêtés. Ils sont jugés le 23 novembre par la Haute cour de Justice qui avait été créée le 20 avril 1959 pour juger les crimes contre la sûreté intérieure et extérieure de l’Etat. Dans toute l’histoire des complots c’est le seul qui donna lieu à un procès, même s’il s’agit d’un simulacre, les accusés ne disposant d’aucun soutien. Ils se défendirent avec tant d’habileté et de conviction que Sékou Touré s’abstiendra de traduire en justice les futurs « comploteurs ». Koumandian Keïta et Ray Autra furent condamnés à 10 ans de prison et Djibril Tamsir Niane à 3 ans. Dans un livre intitulé « Guinée 61, l’Ecole et la Dictature », Koumandian Keïta décrit en détail les tortures qu’il a subies du fait des sbires de Sékou Touré, notamment du ministre de la Défense et de la Sécurité Fodéba Keïta et de son secrétaire d’Etat Magassouba Moriba, qui tomberont eux mêmes plus tard sous le coup de leurs propres manigances. Les conséquences de ces évènements furent tragiques. Le 24 novembre les enseignants, élèves et étudiants des différents établissements scolaires de Conakry organisent une marche pour demander la mise en liberté des enseignants condamnés. Le gouvernement envoie les troupes de choc de la JRDA, la police et l’armée qui usant de leurs armes laissent une trentaine de tués et des dizaines de blessés. Il s’ensuivit le départ de nombreux enseignants coopérants vers les pays africains et la France.

Sékou Touré va saisir ces circonstances pour se défaire d’un courant marxiste apparenté au Parti Africain pour l’Indépendance (PAI) dont le secrétaire général était le sénégalais Majhmout Diop. Bien que la section guinéenne ait été dissoute, ses membres continuaient à se réunir et préconisaient un alignement de la Guinée sur le Bloc Soviétique. A Sékou Touré qui refusait de choisir entre socialisme et capitalisme, préconisant une approche pragmatique « on n’a pas de voie à choisir, agissons, on verra après », ce groupe s’appuyant sur la section du PDG de Mamou disait : « Non, on ne peut pas attendre. Dans la vie il n’y a que deux voies : ou tu es socialiste, ou tu es capitaliste. Il n’y a pas de voie intermédiaire ». Plusieurs d’entre eux, Baldé Mountaga, Baldé Hasimiou, Bah Ibrahima Kaba, avaient fait des séjours à Moscou. Ils avaient à coup sûr l’oreille de Daniel Solod, entreprenant ambassadeur de l’URSS en Guinée que, dans un entretien avec François Mitterrand, Sékou Touré qualifie « d’excellent spécialiste de la subversion ». Daniel Solod est prié de quitter la Guinée. Voulant à tout prix sauvegarder ses relations avec la Guinée qu’elle classe dans le camp progressiste, l’URSS envoie à Conakry un habile négociateur Anastase Mikoyan qui doit se soumettre à un exercice laborieux d’autocritique, déclarant que l’URSS « n’a aucune intention de se mêler des affaires intérieures de la Guinée, ni d’imposer son idéologie. Le choix de telle ou telle idéologie regarde la souveraineté de chaque peuple. » Le neutralisme positif de Sékou Touré se voit solennellement admis par l’URSS. Le nouvel ambassadeur amené dans ses bagages par Mikoyan, Dimitri Degtiar, devra attendre plusieurs jours son agrément


Sékou Touré, qui vient de réprimer un faux complot avec la plus grande brutalité, arrive à enjôler François Mitterrand qui lui donne dans l’Expresse un blanc-seing : « Si on peut contester le caractère expéditif de ses décisions, on n’y relève ni arbitraire, ni cruauté. Il dédaigne ma minutie de la procédure, ce qui aboutit à des jugements non contradictoires et donc discutables comme dans l’affaire Rossignol. Mais il croit profondément à l’équité de la justice populaire ».


Nous trouvons ici toute l’ambiguïté de Sékou Touré qui arrive à justifier ses comportements les plus extrêmes même auprès d’un homme, François Mitterrand, qui peut difficilement être qualifié de naïf

Pour appuyer sa thèse du complot permanent Sékou Touré doit faire preuve d’imagination. Début 1962 il renonce à se rendre au Tanganyka pour les fêtes de l’Indépendance après avoir été informé qu’un attentat devait viser l’avion prévu pour le transporter

1 Camp Boiro – Parler ou périr – R.A. Gomez – 2007 – Ed. L’Harmattan – pp. 196-197